FABRICANT DE SKIS
Marquis Justin | Valais
Pour espérer acquérir une paire de skis réalisés par le tout juste trentenaire, rien ne sert d’entrer dans un magasin de sport ou de surfer sur Internet à la recherche d’un hypothétique site. Il faut se rendre en personne sur les hauteurs d’Orsières, à Reppaz, paisible hameau comptant un peu plus d’une centaine d’habitants. C’est là que Justin Marquis est né, qu’il vit et travaille désormais. « Jamais je ne quitterai ce lieu », précise-t-il en préambule, tout sourire.
Dans le vaste atelier qui occupe le rez-de-chaussée de sa menuiserie, la température avoisine les 5°C en ce matin de mars. Une flambée, alimentée par quelques chutes de bois, permet au brûleur de faire rapidement grimper le thermomètre. « C’est ici que naissent, en parallèle de mon activité de menuisier, les modèles estampillés « Just1 Ski ». Leur base, à savoir le noyau, est constituée de paulownia », précise l’artisan en prenant en main une planche de bois clair.
Cette essence, originaire de Corée mais que l’on retrouve jusque dans la plaine du Rhône aujourd’hui, offre des caractéristiques exceptionnelles: croissance très rapide, grande résistance mécanique, densité faible et imputrescibilité. Justin Marquis assemble par collage plusieurs planches, afin de constituer un lamellé-collé dont la stabilité s’avère encore bien supérieure au bois d’origine.

Il ajoute ensuite, de part et d’autre de ce noyau, des champs. De fines baguettes réalisées en wengé, un bois extrêmement dense et solide qui protège la partie réalisée en paulownia. « À ce stade de la fabrication, les skis montent d’un étage, explique le spécialiste. J’ai confectionné une presse pneumatique qui permet, à l’aide de sa vingtaine de vérins, d’assembler les champs au noyau de manière précise et définitive. »
Retour à l’étage inférieur pour l’affinage de ces pièces à l’aide d’une raboteuse et d’un gabarit ad hoc. Justin Marquis se concentre pour réaliser cette étape délicate. « La précision requise est de l’ordre du dixième de millimètre, faute de quoi la nervosité du ski change du tout au tout », lâche-t-il en réglant sa machine qui avale le bois dans un fracas assourdissant, recrachant au passage quelques fins copeaux.
Les gestes du professionnel s’enchaînent ensuite, alliant vitesse et précision: ajout de parties en polymère au talon et en tête de la spatule pour protéger le bois des chocs, défonçage du noyau pour fixer les inserts de fixation, découpage et ajout de la semelle, précollage des quarts, mise en place du placage réalisé en frêne olivier ou en noyer, au choix du client, tout comme les éventuelles décorations créées en marqueterie.

« Avant d’insérer ce sandwich dans la presse, il me faut encore ajouter quelques couches de fibres enduites de résine époxy. Elles permettront à l’ensemble des éléments d’être parfaitement solidaires et lui conféreront une rigidité supplémentaire », spécifie Justin Marquis, tout en ajustant la température cible et la pression d’une impressionnante machine qu’il a conçue, fabriquée puis patiemment mise au point.
Cette presse, réglable afin de pouvoir confectionner des skis de toutes tailles et de différentes formes, constitue déjà un petit chef-d’oeuvre. Savoir en tirer la quintessence nécessite une solide expérience. « Le sandwich doit être chauffé à 80°C pendant 40 minutes, sous une pression de 5 bars. Puis il s’agit de laisser refroidir le tout jusqu’à une certaine température, qu’il faut maintenir encore une vingtaine de minutes, avant de sortir la paire de la machine. »
On l’aura compris, certains éléments du processus de fabrication doivent demeurer secrets. Ce qui ne l’est pas, en revanche, c’est le temps nécessaire à la confection de chaque paire de skis: 20 heures environ. Facturée 1’600 francs, on se dit que l’artisan doit les réaliser en séries pour espérer en vivre. « Je limite volontairement ma production annuelle à 30 paires, dont cinq pour des modèles de test que j’utilise pour mettre au point et valider des évolutions. »
Justin Marquis pourrait facilement écouler quatre à cinq fois plus de skis. Plusieurs copains guides, conquis par ses réalisations, constituent en effet de potentiels prescripteurs auprès de leur clientèle. Alors, pourquoi ne pas développer son activité? « Mon moteur, c’est la passion. Si j’augmente le volume de production, elle disparaîtra aussitôt », explique-t-il. Raison pour laquelle il tient à conserver un lien direct avec ses clients, qu’il souhaite connaître personnellement.
De nombreux habitants de la région skient ainsi avec ses réalisations, qui allient fabrication artisanale, approche sur mesure et prix contenu. « Je souhaite que mes produits restent accessibles. 70% de mes clients sont des locaux qui vouent une véritable passion au ski. C’est essentiel à mes yeux. Ne pas gagner beaucoup d’argent avec cette activité m’est ainsi complètement égal! », s’exclame l’artisan.

Cette philosophie, qui place l’humain et ses besoins au centre de son activité, Justin Marquis la met en oeuvre tout au long de la relation qu’il développe avec sa clientèle. Ainsi, après l’incontournable rencontre initiale qui permet de faire connaissance et de discuter des habitudes en matière de ski, une journée de test doit valider ou non certains choix. « Mon objectif consiste à fournir un matériel parfaitement adapté à celui qui va l’utiliser. Ce n’est pas au client de s’adapter au matériel. »
À cette étape, la double expertise de menuisier et guide de montagne prend tout son sens. Car le spécialiste de la glisse qu’est le jeune valaisan peut analyser finement le ressenti du skieur, avant de se glisser dans la peau de l’artisan. Il saura alors modifier au besoin la physique du ski proposé en ajoutant de la matière ici pour le rendre plus rigide, ou au contraire en enlevant là un renfort afin de lui conférer davantage de souplesse.
« La paire que je fournis lors de la journée de test convient à neuf personnes sur dix. Mais pour la dixième, je continue à chercher, le temps nécessaire, la formule idéale. »
Just1 Ski, c’est donc bien plus que juste un ski!